Lettre ouverte à l’attention de Monsieur Recep Tayyip Erdogan

Monsieur le Président de la République,

Pour les raisons que vous connaissez, nos Etats n’ont pas de relations diplomatiques, je parle ici de la Turquie et de l’Arménie Occidentale. Pourtant, je vous écris parce que mon peuple subit encore aujourd’hui des persécutions.

Notre différend était bien moins de l’ordre conflictuel, qu’il est de l’ordre du contentieux, puisque non seulement mon peuple a fait l’objet de plusieurs plans systématiques d’extermination mais notre indépendance et souveraineté d’Etat ont été illicitement appropriées.

Depuis notre première demande écrite dans l’histoire, sur la question de la reconnaissance du génocide des Arméniens en direction de votre prédécesseur M. Abdullah Gül, le 18 avril 2011, des efforts ont été notés dans la prise en compte par votre gouvernement de la réalité des crimes subis par le peuple arménien jusqu’au moment où, de votre juste initiative vous avez pris la décision exceptionnelle, le 24 avril 2014, de présenter des condoléances aux petits-enfants des Arméniens survivants des crimes de 1915, considérées comme un acte unique dans l’histoire de nos deux peuples.

Tout au long de l’année 2015, vous avez accepté avec votre gouvernement, de permettre au peuple arménien de commémorer son deuil séculaire à travers diverses manifestations civiles et religieuses en Turquie et en Arménie Occidentale.

Contre toute attente, votre Parti celui de la justice et du développement a remporté les élections législatives du dimanche 1er novembre 2015, regagnant la majorité parlementaire perdue lors du précédent scrutin du 7 juin 2015.

Gratifiée de 49,3 % des suffrages, votre formation politique a pu envoyer 316 députés au parlement (sur 550).

Seulement ensuite, votre gouvernement a pris la décision début 2016, par la force, d’écraser les villes de Hakkari, de Sirnak, de Silopi, de Cizre, de Nusaybin, et de Diarbekir (Digranakert), sous prétexte de faire face à une rébellion des populations locales.

Nous arrivons ainsi à la date fatidique du 15 juillet 2016, le lendemain du massacre de Nice (France) et du vote sur l’inscription de la capitale médiévale d’Ani (1) sur la liste du patrimoine mondial au nom de la Turquie qui a été reportée au 24 octobre 2016.

(1 Inscription d’Ani sur la liste du patrimoine mondial au nom de la Turquie appuyée par les autorités d’Erevan.)

Effectivement, depuis le 15 juillet 2016, des changements radicaux ont eu lieu en Turquie, dans l’application de réformes répressives dans le cadre de l’état d’urgence.

Pourtant, il y a bien une chose que nous avons aujourd’hui en commun, c’est le poids de nos responsabilités en tant que chef d’Etat.

Cette responsabilité implique le respect du droit des gens et le respect du droit international. Dans ce sens, je me suis permis de vous inviter à la table des ratifications d’un traité qui a pour conséquence d’instaurer la paix dans la région, ce traité devant juridiquement finaliser un processus conflictuel (1ère guerre mondiale) qui date de 98 ans et qui aura 100 ans le 30 octobre 2018.

Pourtant, cette indétermination partagée par d’autres puissances, à appliquer les droits relatifs au peuple arménien dans le cadre d’un traité de paix, a pour conséquences des conflits de types internationaux pour ne pas dire mondiaux où des milliers peut être des millions d’êtres humains vont souffrir de cette indétermination.

Monsieur le Président, malgré les craintes3 qui sont aussi à la base de cet Etat d’urgence, vous pensez surement l’emporter en fin de compte et c’est cette assurance qui vous porte et vous entraîne en avant. Cette assurance, est due aussi au fait que vous avez eu le soutien de plusieurs Etats, en Occident et au Moyen-Orient, ainsi que d’une forte population qui croient en votre vecteur politique.

Donc, vous disposez de ressources presque illimitées pour écraser toute résistance ou bien opposition à vos plans dits sécuritaires pour protéger l’Etat, avec si besoin est, de ne pas respecter la souveraineté des Etats voisins.

Sauf que malgré ce soutien (pour ne pas dire complicité) d’une dimension extraordinairement internationale, la question soulevée est celle du génocide d’un peuple autochtone et de l’appropriation illicite de la souveraineté d’un Etat reconnu par tous. C’est-à-dire de l’extermination d’une grande partie de la population arménienne, grecque et assyrienne qui a eu pour conséquence la modification de l’espace démographique de la région avec en prime une occupation territoriale.

Le pire dans cette actualité est que la population qui s’est constituée dans cet espace démographique déjà modifié par le génocide des Arméniens est aujourd’hui la cible principale.

Cette population, hier constituée sur les cendres des Arméniens est devenue la population victime d’aujourd’hui, et une nouvelle fois encore les Arméniens survivants seraient du coté des victimes, c’est presque incroyable, mais c’est notre combat !

L’impunité face aux réparations conséquentes au génocide des Arméniens, m’oblige à poser cette question, ce processus d’extermination des populations d’Asie Mineure qui a commencé en 1894, c’est-à-dire depuis 122 ans, va-t-il se poursuivre jusqu’à l’élimination totale de toutes formes de vie qui ne correspondent pas au « logiciel d’Etat » ?

Faudra-t’il donc rafler puis exterminer toutes les populations locales afin de modifier dans sa totalité la démographie d’un territoire parce que la population qui y vit actuellement ne convient pas ?4

Dans ce cas, il faudra aussi exterminer, la majeure partie de la population mondiale.

D’avoir choisi la voie d’un génocide sans fin, un massacre remplaçant un autre massacre et ainsi de suite, les protagonistes, qui participent laborieusement avec confiance et beaucoup de motivation à l’élimination de leur congénère, seront les victimes de demain, sauf qu’ils ne le savent pas encore, pourtant c’est ce qui se passe depuis 1894.

Enfin, cette assurance pourrait-elle avoir des lacunes ? Nous le verrons bien à l’usage, parce qu’au vu de l’histoire, rien ne dit réellement que les choses se termineront comme prévu.

Monsieur le Président, au nom de mon peuple martyr, je reste à votre entière disposition afin que l’on puisse trouver une solution pour mettre fin à cette hémorragie de souffrance.

Le 04.11.2016

Arménag Aprahamian
Président de la République d’Arménie Occidentale

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